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1 octobre 2011 6 01 /10 /octobre /2011 20:44

 

Voulez-vous savoir le rôle d’un parlementaire, plus particulièrement d’un député dans la République d’Ugonek ? Eh bien, dans la République d’Ugonek, les députés, profitant de la défaillance des services publics dans presque tout le pays, agissent plutôt en agents humanitaires qu’en véritables représentants du pouvoir législatif ! Aussi n’est-il pas rare de les voir réaliser des missions qui, dans une République, sont en principe dévolues au pouvoir exécutif, telles que la construction des écoles et des dispensaires, ainsi que le recrutement, l’affectation et la rémunération du personnel devant évoluer dans ces services publics. Ce sont donc des députés qui, dans les circonscriptions où ils ont été élus et avec leurs propres émoluments, font entretenir les routes à travers des « cantonnages routiers », construire des ponts, des écoles et des dispensaires, recruter des enseignants, des infirmiers, etc., et pourvoir en même temps à la rémunération du personnel ainsi recruté. Parfois, ils sont même sollicités pour faire face aux ordonnances médicales ou à l’organisation des obsèques pour certaines familles complètement démunies, les services sociaux de l’Etat étant inexistants dans de nombreuses localités. Donc, être élu député dans ces localités-là, c’est savoir généreusement mettre la main à son porte-monnaie pour pouvoir soulager, tant soit peu, la misère des électeurs.

 

Il faut dire que les députés eux-mêmes s’y donnent à cœur-joie, car c’est, pour eux, une marque de commisération et de solidarité à l’endroit de ces populations marginalisées et dont les voix leur permettent d’avoir accès aux strapontins du pouvoir politique au niveau national. Mais, à leur niveau, l’objectif affiché, c’est plutôt de se présenter devant ces populations en « messies-sauveurs », afin de gagner leur confiance et s’assurer ainsi de leur soutien électoral. Aussi se félicitent-ils – en sourdine - de l’absence de l’intervention de l’Etat dans ces localités, cette absence étant ici synonyme de survie politique pour eux. Car, aussi longtemps que ces populations seront abandonnées à elles-mêmes, les candidats à la députation y seront toujours accueillis en « messies-sauveurs » grâce à leurs actions humanitaires, quelque ponctuelles et opportunistes qu’elles soient. Et il ne serait certainement pas exagéré de dire que l’on assiste dans ces localités, à la naissance d’un nouveau type de fonction publique, à savoir la fonction publique parlementaire, comme suppléance à l’inexistence d’une fonction publique nationale et/ou territoriale. Chaque député crée ainsi sa propre fonction publique dans sa circonscription électorale, qu’il gère lui-même avec ses propres collaborateurs. Il s’occupe alors de tout et de rien : des crèches, des écoles, des collèges, des lycées, du sport, de la culture, des loisirs, de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de la consommation, du commerce, de l’artisanat, du patrimoine local, des mines, de l’énergie, des impôts et autres taxes douanières, de la circulation routière, de l’armée, de la police, de la gendarmerie, de la milice, des ex-combattants, de la justice, de la paix, des veuves et autres veufs, des orphelins, des femmes, de l’enfance, de la jeunesse, de la vieillesse, de la religion, de la sorcellerie, des chiens, des chats, des vampires, des hiboux, des caméléons, des cafards, des moustiques…

 

Cette fonction publique parlementaire n’est pas seulement présente dans les zones rurales ; on la retrouve aussi dans des circonscriptions électorales se situant dans les quartiers périphériques des grandes agglomérations urbaines. En effet, ces quartiers périphériques ne font pas souvent l’objet d’une sollicitude particulière de la part de l’administration centrale, dont l’action est plutôt concentrée sur l’aménagement des centres-villes et des artères principales qui les relient à des aéroports internationaux qu’abritent les grandes villes ; ces lieux étant considérés comme prioritaires, parce que constituant des véritables vitrines devant refléter l’image parfaite de l’ensemble du territoire national : c’est là qu’atterrissent, circulent et sont logés les invités de marque qui arrivent de tous les quatre coins du monde ! Et là, l’administration centrale est présente et très opérationnelle. Quant aux quartiers périphériques, qui sont de véritables bidons-villes, eh bien, les parlementaires et autres élus locaux n’ont qu’à y faire émerger leurs propres administrations ! En tout cas, ce n’est pas l’Etat qui les empêchera, bien au contraire ! L’Etat s’en frottera les mains d’autant plus que ça sera là un souci de moins dans l’élaboration du budget national d’investissement.

 

En réalité, dans la République d’Ugonek, les circonscriptions électorales sont des circonscriptions territoriales concédées aux parlementaires, qui devront y exercer cumulativement le triple pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, l’administration centrale ne pouvant être présente partout. C’est, entre autres, à cause de cette forme d’organisation démocratique particulière de la cité, fondée sur une décentralisation du pouvoir politique et sur une déconcentration de l’administration publique, le tout consistant dans une absence totale des services publics et des projets de développement de l’Etat dans les zones rurales et les quartiers périphériques des grandes agglomérations urbaines, que ce pays fut surnommé République concessionnaire d’Ugonek. L’Etat avait en effet concédé la majeure partie de son territoire à la gestion des élus et autres humanitaires - tant nationaux qu’étrangers -, lui-même concentrant son investissement sur les principales questions liées au soin de la notabilité de l’image de marque du pays vis-à-vis de l’opinion internationale. De toute façon, l’Etat n’a que faire de l’opinion nationale, qu’elle lui soit favorable ou pas, puisque ce n’est pas elle qui déciderait de ses principaux dirigeants, après tout ! Par contre, il a tout intérêt à s’attirer une réelle estime de la part de l’opinion internationale, pour éviter l’étiquette d’«Etat voyou » ou autre « Etat pas fréquentable ». Et ça, ça ne serait pas du tout bon pour ses dirigeants, qui porteraient du coup cette étiquette comme une vraie corde au coup pouvant vite les asphyxier, et leur pouvoir avec. Ah, si seulement l’opinion ugonekoise avait les mêmes prérogatives d’étiqueter ainsi ses propres gestionnaires de l’Etat!

 

Par contre, les députés et autres élus locaux ne doivent leur survie politique qu’à l’opinion nationale. Ils ont donc intérêt à s’attirer son estime. Voilà pourquoi nombre d’entre eux font feu de tout bois pour pouvoir s’imposer comme de véritables « messies-sauveurs » dans les zones rurales et les quartiers périphériques des grandes agglomérations urbaines. Aussi ne manquent-ils pas d’imagination pour réaliser des actions devant marquer durablement les esprits au sein des populations. Quand certains s’élancent dans la construction des passerelles devant relier deux quartiers séparés par un marigot ou un ravin, d’autres optent pour la réfection ou la construction des bâtiments d’écoles ou d’hôpitaux, ainsi que leur dotation en matériels didactiques, en tables-bancs ou en médicaments de première nécessité. Il n’est donc pas rare de voir un député se transformer en maître d’ouvrage pour la réalisation des oeuvres d'utilité publique. Ce fut, entre autres, le cas du député du cent neuvième arrondissement de la ville-capitale, qui s’était improvisé maître d’ouvrage dans la réalisation d’une passerelle métallique devant relier deux quartiers de cette circonscription séparés par un marigot. Mais la réalisation fut à la milite du risible. Tenez! Ces deux quartiers étaient séparés par une zone marécageuse de près de cent mètres de large, avec, au milieu, un cours d’eau de cinq à dix centimètres de profondeur - selon les endroits -, et de trois mètres de large. Et il n’existait aucun pont reliant les deux quartiers. Ainsi, pour passer d’un quartier à l’autre, il fallait se mouiller les pieds, ou alors se faire transporter au dos par un passeur volontaire, moyennant quelques pièces d’argent. Mais, en période des crues, toute la zone était inondée et le courant d’eau devenait tellement puissant qu’il pouvait provoquer des noyades.

 

C’est à cette situation que le député décida de mettre fin, en y faisant construire une passerelle métallique. Mais, au lieu de relier les deux bouts de la terre ferme, la passerelle ne fut posée qu’en pleine zone marécageuse, laissant une bande de  boue de plus de cinq mètres, de part et d’autre. Ainsi, pour accéder à la passerelle, il fallait encore marcher dans la boue, la passerelle ne permettant que de passer au dessus du cours d’eau comme tel. Tous ceux qui espéraient traverser désormais cette zone à pied sec avaient vite déchanté, car il fallait toujours se salir les pieds dans la boue, ou alors se faire - encore et toujours - transporter au dos par des passeurs volontaires, moyennant toujours quelques espèces sonnantes et/ou trébuchantes. Pourtant l’inauguration de cet ouvrage métallique avait été faite en grande pompe, au cours d’une cérémonie officielle, avec coupure de ruban - s’il vous plaît - par le député lui-même, entouré de tous les riverains qui applaudissaient à n’en point rompre, chantaient et dansaient au rythme du ndombolo et du coupé décalé à l’ugonekoise !

 

A la fin de la cérémonie, le député repartit chez lui, à bord de sa grosse cylindrée climatisée et aux vitres fumés, tout heureux d’avoir contribué à la modernisation de sa circonscription électorale et, partant, de son pays. Avait-il conscience que sa réalisation ne fut pas à la hauteur des attentes des populations riveraines qui, elles, devaient encore et toujours continuer à patauger dans la boue pour pouvoir passer d’un quartier à l’autre ? Et si le porte-monnaie du député avait soixante-dix-sept fois sept fois moins d’envergure que les travaux à réaliser pour satisfaire les besoins de ces populations riveraines ? Comme quoi, aucun citoyen, fût-il député titulaire, ne peut à lui seul suppléer à toutes les carences d’un quelconque Etat qui paraîtrait moribond et démissionnaire vis-à-vis des préoccupations de ses propres citoyens. 

 

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